Du scénario enquête


Le combat, la diplomatie et l'enquête sont des aspects fondamentaux de Vampire la Mascarade. Si le combat est naturel au jeu de rôle et la diplomatie découlant du contexte, des relations entre PJs et PNJs et du background de ces derniers, l'enquête est plus difficile à appréhender. Voici donc tout le nécessaire pour pouvoir créer de bonnes intrigues.

 

Principe du scénario enquête

La base du scénario enquête consiste à reconstituer les intrigues imbriquées entre elles afin de séparer les intrigues parasites de l'intrigue principale. De fait, les indices indiquent toujours (quand ils ne sont pas mensongers) la direction vers une de ces intrigues imbriquées. La satisfaction du scénario enquête réside dans la découverte du lien entre un indice et son intrigue, on se rend compte alors que tenir un rythme plaisant pour la table n'a rien d'évident mais permet de créer un scénario pouvant alterner aisément entre linéarité et monde ouvert.

 

L'architecture de forme

Construire un scénario enquête consiste donc à semer des indices au milieu de divers contextes et événements devant permettre de reconstruire une situation passée ou à venir :

• mobile,

• vérification des alibis,

• reconstitution des événements réels,

• liste des témoins et intervenants,

• relations entre eux.

 

Si un indice décrivant un des événements peut être instillé en début de jeu, le second sur le même événement peut être trouvé après d'autres en relations avec d'autres points de l'enquête. C'est ce qui rend les scénarios enquêtes complexes, c'est le fait que les joueurs devront eux-mêmes mettre en relations les événements et les indices. Tous les bons indices doivent mener à une conclusion.

 

La reconstitution des événements

Afin de créer les indices, il est de bon ton de créer en premier lieu l'ensemble des scènes telles qu'elles se sont passés durant les événements conduisant à l'enquête. Les lieux, les dates, la météo, les personnages impliqués et témoins, les objets altérés ou utilisés, le type d'environnement ou mobilier, ce que les coupables ont fait ensuite pour fuir ou se couvrir...

 

Une fois ces scènes décrites précisément, alors les indices caractérisant les personnages peuvent être élaborés : la taille et marques des chaussures, les boîtes d'allumettes, les sceaux... En ces cas-là, on doit pouvoir se dire qu'un personnage impliqué n'existe qu'au travers des indices qu'il a laissé : un maladroit laissera des traces, un voleur pillera sa victime, etc.

 

Pour préparer ces scènes, il n'existe pas d'ordre chronologie ou géographique précis. C'est comme un roman, on écrit une phrase, un paragraphe ou un chapitre, pour revenir sur un précédent plus tard, jusqu'à ce que le récit murisse. Ainsi, on écrira souvent les personnages en même temps que leurs motivations, certaines scènes ou indices, en suivant nos envies et nos inspirations.

 

Ainsi, l'architecture de votre enquête et des événements sera le miroir de ce que découvriront les joueurs : plus un indice est écrit tôt, plus tard il sera découvert.

 

 

Test ou pas test?

Pour créer une trame stable (mais un peu facile), il incombe que les joueurs n'ai pas a tester certains indices pour les trouver. Bien sûr, les indices évidents correspondent à cette dénomination mais les autres types peuvent également en faire partie si cela permet de faire découvrir une intrigue secondaire ou le règle des miettes de pain (voir plus bas) n'est pas respectée pour une raison ou une autre.

 

 

Le désavantage de cette méthode, si elle permet de garder les joueurs dans les clous, est qu'ils vont se rendre compte de son importance, risquant de leur infliger la dissonance ludique ou de les faire passer à côté des autres indices ou éléments d'intrigue.


Classification pratique des indices

Évidence

Les traces de lutte, la boue sur le sol ou le tableau qui manque. Ce genre de chose se voit naturellement et sert à raconter ce qu'il s'est passé. Il n'est généralement pas besoin de recourir à des jets de dés pour les remarquer (sauf en nuit noire sans torche), mais ces jets peuvent permettre d'aboutir à différentes interprétations qui peuvent être données aux joueurs  ou à un indice supplémentaire contenu dans cette évidence.

 


Menu indice

Ce sont les trouvailles et étrangetés sujettes à interprétation qui peuvent donner un sens comme un autre et conduire sur une bonne comme une mauvaise piste. Ce genre d'indice permettent souvent d'accéder à un autre menu indice, voir un indice capital qui marquera la suite du scénario.

 

Dans les menus indices, on peut compter les déductions : le nombre de jerrican d'essence dans le coffre de la voiture crashée dans le désert peut indiquer jusqu'où elle pouvait aller et donc les objectifs potentiels entre 3 sites atteignables, que les joueurs vont pouvoir visiter. Les déductions sont les plus satisfaisantes à faire analyser à vos joueurs et/ou en réussite de leurs tests.

Faux indice

C'est l'élément de jeu que découvre un joueur qui a raté un jet caché, un objet qui semble faussement étrange mais conduira à des conclusions fausses, surinterprétées ou stupides. Un faux indice peut très bien être improvisé mais doit pouvoir être éventé par un test de logique si les joueurs piétinent ou être suffisamment farfelus pour que les joueurs ne s'y trompent pas. Il s'agit ici de leur indiquer qu'ils ont lamentablement échoué et être l'occasion d'en rire, pas de les diriger dans une mauvaise direction.


 Indice capital

C'est l'élément de jeu dont vous, MJ, savez que vos joueurs n'ont pas à douter. Eux le feront peut-être, mais cet indice est celui qui conduira à l'évolution de l'enquête. Ce sont ces indices qui peuvent mériter à coup sûr d'être recréés en vrai afin de les confier aux joueurs comme accessoires de jeu.

 

Un indice capital doit cependant toujours être unique mais jamais considéré obligatoire. Il a de capital qu'il doit participer à la compréhension de l'intrigue.



Rouages ludo-narratifs

Qui sait quoi?

Les indices peuvent être des informations données par des intrigants plus ou moins impliqués dans l'enquête. Si aucun d'eux peut n'être au courant de toute l'affaire, en avoir une appréciation biaisée, parcellaire ou floue, il est possible qu'ils demeurent difficiles à approcher ou qu'ils demandent un retour d’ascenseur en paiement de l'information. Il se peut aussi qu'ils aient remarqués les enquêteurs et cherchent à les éviter ou à leur mentir, et le jeu consistera alors aux joueurs à recouper les informations avec les preuves tangibles afin de confronter leurs hypothèses. La réaction d'un PNJ devrait alors être au maximum en rapport avec son historique et son caractère, ce que les joueurs devraient pouvoir apprendre d'une manière ou d'une autre. C'est ici qu'un tableau relationnel a le plus de chance de faire ses preuves.

 

Ici aussi, un test de logique doit permettre d'éventer un mensonge si les joueurs piétinent.

 

L'indice à rebours

Certains indices peuvent être fournis bien plus tôt dans l'aventure que ce pour quoi ils peuvent être utiles. Outre le temps passé avant d'abandonner et de passer à un autre argument, cet indice doit pouvoir valider une théorie quand les joueurs seront confrontés à ce à quoi cet indice devait mener, voir même être sous une forme différente mais rappelant suffisamment l'original pour conduire à sa conclusion.

 

Ex : la boue sous les chaussures dans le Flic de Beverly Hills 2 (1987).

 

L'étudiant

Afin d'éviter de rater un indice capital, un des joueurs qui fouille DOIT y passer plus de temps que les autres, jusqu'à plusieurs heures s'il le faut, quitte à l'exclure partiellement : pendant que l'étudiant épluche les lettres et carnets de note du bureau, les autres joueurs fouillent alentours, et l'étudiant peut partiellement entendre les conversations depuis son poste et y réagir, prendre quelques minutes de pause pour prendre des nouvelles de l'enquête ou encore assister à une attaque ou un événement magique. Il est au poste où les bizarreries passives peuvent surgir pour faire naître le surnaturel et l'horreur. En fait, l'étudiant peut même passer la main à un autre personnage qui prend sa place, exactement comme un tour de garde lors d'une nuit à la belle étoile.

 

Dans ce cadre, les jets de dés visant à découvrir les indices ne peuvent faire qu'une chose : prendre moins de temps à trouver l'indice qui NE PEUT être raté dans ces conditions, que cela soit pour donner de la tension à un scénario (notamment à durée définie), affaiblir ou diviser le groupe, ou même simplement dans un but illusoire.

 

Bien sûr, si vos joueurs sont habitués à cette manœuvre, l'étudiant peut très bien mener à tous les types d'indice.

 

La fouille rapide

Trouver un bouton de manchette ou une trace de cigarette sur une poutre. La fouille survolée ne permettra que de découvrir les menus indices, donc les plus à même de mener sur une mauvaise piste. Elle doit être conduite par un jet de dé réussi satisfaisant pour les joueurs et ouvrant les potentialités, par un nombre restreint mais divers.

 

La porte dérobée

À n'en jamais douter, la découverte d'une salle secrète mènera toujours à son exploration par au moins la majorité du groupe, en laissant en plan le reste des indices encore cachés. Il ne faut surtout pas mettre un événement de ce type à côté de l'outil l'étudiant qui laissera tomber ses papiers et ratera ainsi un indice capital.

 

Le témoignage de la femme fatale

Recueillir le témoignage d'un personnage constitue en soit un menu indice. Il faudra donc aux joueurs vérifier ce témoignage pour éviter d'aller sur une mauvaise piste. Les jets peuvent permettre d'influencer la perception du témoin ou du témoignage qu'ont les joueurs, ou de comparer ses dires par rapport aux connaissances des personnages-joueurs.

 

Recueillir des témoignages est long et fastidieux. On peut le signifier aux joueurs ainsi :

• de manière descriptive (des heures ont passées, ils subissent un malus à cause de la fatigue, c'est clair et rapide),

• de manière active (scènes RP avec plusieurs témoins potentiels et être confronté à la vacuité et aux mensonges),

• de manière aléatoire (par jet de dés pouvant n'aboutir à rien de probant),

• de manière outillée (en suivant une piste de miettes de pain ou l'étudiant),

• ou en jugeant de la meilleure méthode au vue de l'indice à récolter, en variant, modulant ou combinant les effets.

 

Un réseau d'informateur est aussi utile, à la différence que plus le réseau comporte d'informateurs consultés, plus l'indice délivré est précis et indiqué comme vrai ou faux, même en cas de conflits entre les indics ou de mésentente avec eux. D'ailleurs, un réseau d'informateur peut délivrer tout type d'indice (évidence, faux indice (en cas de manipulation du réseau), menu indice ou indice capital), cela dépendra de la qualité des relations entretenues, de l'étendue et du niveau compétence du réseau.

 

Le témoignage contradictoire

Si un témoin est - durant l'enquête des joueurs - un fieffé menteur, alors il faut impérativement fournir une occasion aux joueurs de se rendre compte du mensonge. Sans cela, ils risquent de ne pas comprendre l'intrigue, partir dans la pire direction ou tourner en rond, ce qui n'est plaisant ni pour les joueurs, ni pour le conteur. Même si le témoignage contradictoire doit se voir apporté par un prince sur un cheval en scénarium ou au pire moment, il doit arriver afin de faire comprendre aux joueurs comment trier leurs hypothèses. Il reste judicieux d'appuyer un témoignage d'une preuve concrète, car on sait que les joueurs peuvent être étrangement trop méfiants au moment où ils n'auraient pas du.

 

Bien sûr, ce témoignage contradictoire n'est pas forcément un témoignage, ce peut être une preuve découverte par hasard, le souvenir d'un tiers qui ne colle pas aux événements, ou un document montrant que le menteur ne pouvait pas être là où il le prétend, ce qui peut impliquer qu'il ai un mobile à agir ainsi.

 

Notez cependant que ce genre d'outil est très complexe à doser tant à l'écriture qu'à la maîtrise du scénario. Il donc faire sens dans le récit, et apporter un propos fort soutenu par les motivations du menteur et qui puisse causer un dilemme moral à vos PJs. S'ils bénéficient d'une justification morale très forte et profonde, la culpabilité et les mensonges feront hésiter vos joueurs qui pourront s'identifier au témoignage contradictoire. C'est une mécanique de cinéma courante pour humaniser un adversaire tout en guidant le spectateur sur un intrigue secondaire.

 

Le révélateur de mensonge

Une occasion de créer un mensonge qui pourrait entamer la résolution de l'intrigue par les joueurs se voit valorisé si ces derniers doivent croiser la route d'un personnage suffisamment informé pour le mensonge d'un témoin soit éventé. Une telle révélation peut conduire à réduire le nombre de suspect ou à inverser l'interprétation d'un indice. Les révélateurs de mensonge que l'on croira le plus facile sont ceux qui semblent extérieurs à l'intrigue, qui n'ont rien à gagner si la balance penche d'un côté comme de l'autre et ne semble en faire partie que par un concours de circonstance mais qui n'a rien de fortuit.

 

Placé vers la fin de l'intrigue, ce genre de personnage permet également de terminer une enquête en tranchant entre deux personnages dont l'un mentait sans que l'on ne puisse déterminer lequel.

 

Exemple : les frères Ceniza, spécialiste dans la restauration de livres anciens, dans le film la Neuvième Porte (1999).

 

Les petits cailloux

Donner un indice qui en indique un autre dans une suite linéaire ne doit jamais être utilisé autrement que pour amener les joueurs à voyager, les amener d'une zone de l'intrigue à une autre, sans que cela puisse être central au scénario ou rythmer le jeu avec une séquence de description, de combat ou d'exploration. C'est un simple panneau indicateur afin de poursuivre l'intrigue et un élément extrêmement artificiel, aussi ce voyage doit avoir un sens esthétique ou logique, mais peut envoyer les joueurs tant en sécurité qu'en zone dangereuse.

 

Les petits cailloux, c'est le changement d'environnement, comme trouver la provenance de la terre rouge sous les ongles du cadavre ou l'adresse de la couverture d'une secte.

 

Le craquement au grenier

C'est ce bruit qui donne la sensation de ne pas être seul. En fait, ce peut être une chouette qui marche au grenier, une porte qui claque ou le cri d'un animal éloigné... voir le tueur qui est revenu sur les lieux du crime. Cet événement subit doit profiter à deux choses : l'ambiance en étant corrélé à l'intrigue, pouvant lui donner un peu plus de densité (attention tout de même aux clichés) ; et le jeu d'urgence : les joueurs devront vérifier ce que c'est et ainsi éventuellement tomber sur un indice, lui même corrélé à la situation, l'ambiance, le lieu et l'effet.

 

L'appel à un expert

Un PNJ peut être consulté pour lui confier un indice afin d'en obtenir des conclusions. Médecin légiste pouvant expliquer la cause d'un décès, sage connaissant une légende perdue ou encore l'outil Étudiant personnifié par l'intervention de l'expert, l'intérêt est ici de s'assurer d'un résultat en paiement d'un service, d'argent et du temps que le personnage termine son analyse. Les chances de trahison d'un expert doivent être maigres (il met sa crédibilité professionnelle en jeu) et - le cas échéant - doivent faire pleinement partie d'une intrigue.

 

La matière du passé

Un des PJs peut être confronté à quelque chose qu'il connaît, un élément du passé ou en rapport avec ses contacts. Excellent indice pour débuter une enquête, cet indice ne doit pas nécessairement guider à la suite de l'intrigue et peut départager des intrigues tardivement. A ce moment-là, cet indice peut guider vers les intrigues secondaires qui contiendront elles-mêmes des indices vers l'intrigue principale.

 

Ex : le commutateur au mercure de l'escouade du Viet Nam dans l'Arme Fatale 1 (1987), ou le tabac à rouler du tireur d'élite dans Sherlock Holmes, jeu d'ombres (2011).